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Islande en septembre
24 septembre 2015

des gens et des écrans

Le 22 septembre, nous sommes allés à Olaffördjur, le village de l'autre côté du tunnel, où Jo. devait faire sa présentation dans une école qui semble correspondre plus ou moins à un lycée. Plus on est longtemps dans un pays, plus les jugements deviennent complexes. Dans cette école, il y a des choses que je trouve bien et d'autres qui me laissent songeuse.

À l'entrée, on enlève ses chaussures, comme partout. Une radio dispense de la musique assez forte, comme dans un bar;il y a des œuvres d'art accrochées partout sur les murs. Pas d'autres bruits que la musique. Nous avons d'abord été présentés à la directrice, avec qui nous avons discuté en prenant un café. "Ce que je voulais en arrivant ici, dit-elle, beaucoup d'art et une machine à café qui fonctionne." Elle nous explque l'organisation de cette école, qui est un peu spéciale, bien que ce ne soit pas une école pilote. (Donc pas destinée à servir de modèle à d'autres école, mais récompensée par un prix pour ses innovations.)

Il y a un certain nombre d'élèves qui ne sont pas présents, parce qu'ils suivent les cours sur internet. Ils travaillent donc beaucoup en ligne, mais je ne comprends pas encore très bien comment ça marche. Elle dit qu'ils ne sont pas obligés d'assister aux cours, mais qu'ils doivent rendre les devoirs du cours qu'ils ont choisi pile avant dimanche minuit, sinon, ça n'est pas validé. il n'y a pas d'examen, mais une évaluation permanente. Donc si tu ne rends pas ton truc, tu n'es pas validé. "Il faut un cadre très strict quand on travaille sur internet" dit-elle. Seule exception: une mort dans la famille proche ou une hospitalisation. Je revois Antoine Doisnel dans "les 400 coups". -Ben, c'est ma mère, M'sieur. Quoi ta mère? Ben, elle est morte.- Excuse qui peut marcher une fois, mais pas plus...

Quoi d'autre? Elle trouve très important de laisser une grande part à la créativité des élèves. C'est pourquoi les classes d'art sont privilégiées. Elle travaille en connexion avec certaines firmes du village pour que les élèves soient aussi en contact avec la vie réelle. Pour avoir un nombre suffisant d'élèves, ils sont obligés d'avoir aussi des élèves en ligne. Olaffjördur est minuscule et éloigné du monde. Donc tout le monde travaille en ligne. L'´école inclue aussi les handicappés et tout le monde travaille ensemble. Nous parlons d'interculturalisme, des différences entre les mentalités des pays. C'est une femme intelligente, énergique, très directe, pleine d'idées. elle a fait des études en Islande, mais aussi un Master aux États-Unis en science de l'éducation, se spécialisant dans l'apprentissge en ligne. Et elle cherche sans cesse à améliorer les conditions de travail à l'ècole. La plate-forme, c'est "Moodle", j'ai déjà entendu ce nom, mais je ne sais pas très bien à quoi ça correspond. Mais j'aime bien ses idées.

On visite les locaux de l'école, la salle des profs, la classe d'art, la salle de science, et quelques salles de classe occupées. Il y a quelques élèves dans les couloirs, vautrés sur des sofas, accrochés à leur portable, comme partout.

Et dans les classes, il y a un prof devant un ordinateur. Et des élèves devant des ordinateurs. Tout le monde tapote. Mais ils ne se parlent pas et ils ne se regardent pas.

Une pensée me saisit soudain: heureusement que je suis assez près de l'âge de la retraite parce que c'est le genre de méthode avec laquelle je n'aimerais pas spécialement travailler. Plus tard, j'ai demandé à un technicien, responsable de toutes les installations, ordinateurs, connexions, etc. "Mais est-ce qu'ils se parlent des fois?" Oui, oui, bien sûr, ils se parlent, ils sont connectés, c'est Moodle! Mais moi, je n'ai vu que des êtres rivés à leur écran.

L'après-midi, Jo fait sa présentation: l'école de sculpture sur bois, le théatre de la passion, le passage de l'art figuratif à l'abstrait... Dans la salle, il y a 8 ou 10 personnes. Peut-être que d'autres sont connectées? Des élèves fantômes? Ils ont l'air plutôt attentifs, certains posent des questions, une jeune femme voudrait faire un cours de sculpture en Bavière. Ils sont gentils, pas remuants. Je ne peux me défaire cependant de l'impression d'être dans un lieu peuplé de fantômes.

Ils n'y a pas de livres, pass de tableaux, pas de craie, pas d'odeur d'école. Il n'y a pas de cantine non plus. En face, il y a la station-service qui sert des hamburgers, des hot-dogs et des frites. quelques-uns des élèves de chair et d'os y mangent en tapotant leur smartphone.

Aujourd'hui, j'ai regardé sur Internet ce que c'est que Moodle. Créé par un Australien. Ah c'est normal, ils ont commencé très tôt l'enseignement en ligne dans les fermes de l'out-back où il faurt un avion pour se rendre à la ville la plus proche. Acronyme de "Modular Object Oriented Dynamic Learning Environment", ce qui donne en français: environnement orienté d'objectifs d'apprentissage dynamique modulaire... Whaouh, je ne suis toujours pas sûre de comprendre...

But: création et organisation de cours sous forme de filières. Création d'outils d'interaction pédagogique et communicative créant un environnement d'apprentissage en ligne permettant aux apprenants de construire leurs connaissances à partir de leurs expériences et compétences. Le formateur ne présente plus et ne valide plus l'information. (Alors il fait quoi?) Formation ouverte et à distance. Devrait permettre de favoriser la collaboration entre apprenants mais est souvent utilisé  simplement pour annexer des documents pdf. doc. ppt. (Je suppose que ça veut dire qu'ils copient des trucs sur internet et qu'ils les ressortent dans leurs devoirs)

Quel est le but? Économiser des profs? C'est sûr que c'est plus facile de mettre un prof devant 60 ordinateurs que devant 25 élèves agités. Dans les pays à faible densité de population, l'Islande ou l'Australie, ça peut se comprendre aussi. Mais en France ou en Allemagne?

Quand je commence une nouvelle classe, j'aime bien sentir, entendre, regarder les élèves, adultes ou ados, penser à toutes les infos qui ne passent pas par le langage, mais par notre manière d'être, de réagir, d'interagir. Essayer de créer une ambiance agréable, détendue, essayer de connaître un peu ses participants. Réagir aux aléas du direct.M'interresser à ce que ces personnes apportent elles-mêmes dans les cours.

On me dira que cela peut aussi se passer par écran interposé. Mais je reste bêtement fixée sur le besoin de sentir des gens autour de moi. Pas des écrans.

Donc, c'est bien que je prenne ma retraite bientôt.

J'aimerais bien savoir ce qu'en pensent mes collègues enseignantes?

Un peu loin de l'Islande, tout cela, mais en rapport avec cette visite qui m'a beaucoup frappée.

La prochaine fois, je vous parlerai peut-être des harengs!   

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Commentaires
S
Heureusement qu'elle met l'accent sur l'art pour équilibrer un petit peu. Ce système ne m'enchante pas vraiment, même si c'est surement pratique pour des élèves qui habitent loin du prochain village. Étrange quand même...
S
Élèves fantômes, professeurs qui ne connaissent pas leurs élèves, élèves qui rendent du copy-paste en continuant à s’envoyer et recevoir des messages sur leur smartphone. Pire que « 1984 », ça ferait bien l’étoffe d’un roman, avec professeurs et élèves ayant avec le temps perdu l’usage de la langue parlée car devenue désuète, totalement transparents grâce à Facebook exhibant des photos truqués par Photoshop et s’adonnant à la vie virtuelle sur SecondLife… <br /> <br /> <br /> <br /> Oh là là, l’âge me rendrait-il rétrograde ? <br /> <br /> "Quand nous chanterons le temps des cerises Et gai rossignol et merle moqueur Seront tous en fête… "<br /> <br /> Non non, comme Baudelaire au XIXe siècle face à l’industrialisation, je condamne ce genre de progrès et pense qu’on s’engage vraiment sur la mauvaise voie. Mon meilleur souvenir en tant qu’apprenante, c’était les séminaires de H.Staub à Villeneuve d’Avignon où on étudiait Mallarmé au détour d’une ballade en Province assis sur l’herbe fraiche et l’esprit égayé par le gazouillement des petits oiseaux au lieu d’une forte musique anonyme dispensée par une radio. Et si on leur offrait ça aux élèves d’aujourd’hui, resteraient-ils accrocs à leur ordi et smartphone ?
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