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Islande en septembre
26 septembre 2015

La Saga du Hareng

Dans "Grapevine", un magazine hype de Reykjavik en langue anglaise, il y avait un article sur Siglufjördur qui présentait la ville comme celle "où vous apprendrez tout ce que vous vouliez savoir sur le hareng sans jamais avoir osé le demander." Âme sensible, je n'aime pas trop ni la chasse ni la pêche, mais je suis dans un pays de pêche qui vit de l'export du poisson. La pêche les a aidés à vivre, à éradiquer la grande pauvreté. Quand l'Islande a été projetée dans la grande aventure du tourisme, à Siglufjördur, ils avaient leur glorieux passé de ville industrielle à mettre en valeur et ils en ont fait un atout.

Il est clair que l'Islande n'est pas le seul pays qui a péché et surpêché. La Chine, la Norvège, le Japon, tous les amateurs de baleine, tous ceux qui vont vider les océans au large des côtes d'Afrique par exemple ont une plus grande part de responsabilité dans ce qui arrive à la mer.

Je reconnais aussi ma double morale, tout comme je mange de l'agneau, du cheval, du bœuf, j'adore aussi le poisson et je n'ai pas l'intention -pour le moment- de devenir végétarienne. On ne peut pas empêcher le tigre de tuer la gazelle ou le renard d'occire les poules. Et pourtant, je m'émeus toujours devant la mort des animaux. Fondamentalement, je n'aime pas l'idée qu'un être vivant devienne mort. (Sauf les moustiques.)

Cependant, malgré toutes mes réticences, nous sommes donc allés visiter le musée de la Saga du Hareng.

Quand ils montrent, dans de vieux films, comment ils salent les harengs pour les envoyer de par le monde dans leurs tonneaux de bois, je trouve ça normal qu'il faille nourrir le monde et gagner sa vie. En revanche, quand cela devient des "usines de poissons" (en 1911) qui transforment "l'or de l'océan" pour en faire

- de l'huile d'éclairage

- du savon, des produits de beauté

- de la farine pour nourrir des animaux normalement herbivores

- de l'engrais pour les sols

Alors là, j'ai le cœur au bord des lèvres.

Dans d'autres vieux films, on les voit retirer, comme avec une louche géante, des millions de tonnes de poissons argentés, vivants et frétillants pour en faire de la poudre et de l'engrais, et ça a pour moi quelque chose d'insupportable. Plus tard, les méthodes de pêche se sont encore "perfectionnées." On n'avait plus besoin d'attendre que les poissons arrivent à la surface, on pouvait les détecter dans les grands fonds.

Et puis, en 1968 "le hareng a disparu". Ah oui? Comme c'est étrange! Il en a eu marre de se faire dézinguer systématiquement, alors il est allé nager dans d'autres eaux plus clémentes. On ne dit pas : on a anéanti les réserves de poissons en surpêchant pour faire de l'engrais et du fric; on dit:"tiens, le hareng est parti nager ailleurs." (De la même manière que la morue a un jour décidé de quitter les côtes du Québec.) D'après le dépliant: "après 27 ans, le hareng est revenu" - tiens, s'est-il dit, on va retourner faire un p'tit tour en Islande, ça fait si longtemps...- 

Aujourd'hui apparemment, on protège mieux les poissons jeunes, donc on assure un développement plus durable. Mais il reste encore quelques usines à poissons de par le monde pour faire de la farine pour les animaux végétariens des pays demandeurs. (L'Europe?)

Quand j'achète le poisson à Intermarché, je sais que beaucoup viennent de fermes aquatiques et sont nourris à la farine de poisson, qu'ils n'ont toujours pas tenu leur engagement de ne plus racler les fonds sous-marins avec leurs filets. Donc ceci n'est pas un problème typiquement islandais, mais le musée du hareng me rappelle tous ces problèmes.

En fait, je crois que l'intention première du musée, c'est de capturer un moment d'histoire, de montrer comment Siglufjördur fut une ville bouillonnante de vie et d'activité. On y sent une certaine nostalgie de cette époque et c'est bien compréhensible.

Le premier grand bâtiment de bois abrite un énorme bateau de pêche et plein de petits. On peut monter sur ce vieux bateau et c'est impressionnant de l'imaginer partir à l'assaut des mers. Le second montre la machinerie d'enfer utilisée pour broyer et écraser les poissons. Je m'interroge sur les conditions de travail des ouvriers de l'époque, autant que sur la mort de tous ces pauvres poissons mis en bouillie pour faire de l'engrais.

La troisième partie du musée montre la vie quotidienne  et les baraquements où étaient logées les "hering girls" (les filles aux harengs? les harengères? il me semble avoir entendu dans mon enfance  comme insulte: espèce de peau d'hareng...) Logements froids, aux lits minuscules et superposés, où les filles vivaient entassées (comme des harengs), avec le coin cuisine et le grenier où elles faisaient sécher leur linge (Ça devait tout le temps sentir le poisson?) Cette partie du musée est saisissante parce qu'on y a laissé des vêtements, des chaussures, des magazines de l'époque, des radios et des réveils, des ustensiles de cuisine, des valises entr'ouvertes sur ou sous les lits. Comme si les harengères venaient juste de partir... On imagine leur vie, à vider les poissons, dix heures par jour, pour gagner quelques sous pour elles ou leur famille.

En 1911, des frères norvégiens avaient édifié de l'autre côté du fjord, une nouvelle "usine de poisson", encore plus performante. Une grande avalanche, large d'un kilomètre a enseveli et totalement détruit cette usine et tué neuf personnes. Serait-ce la vengeance du hareng?

Et le vendredi 24, il y avait devant la partie habitation du musée un "hering salting show" à l'intention des touristes d'un bateau de croisière amarré pour quelques heures dans le port. Ce n'était pas le Costa Concordia, juste un bateau conçu pour 150 personnes, et ce matin-là, il n'y en avait que 25. Le bateau était un peu en retard, parce que la mer était très agitée, nous a dit le mari de G. qui s'occupe aussi de la réalisation du show. il nous a offert un café pour patienter. Le soleil commençait à poindre au-dessus des montagnes, mais le sol de lattes de bois était tout glissant de verglas. (Eh oui, l'automne arrive!) On a attendu en discutant avec la jeune fille qui s'occupe du musée, qui a fait des études de chant et de musique à Reykjavik et est ravie d'être à présent installée à Siglufjördur. Tout le monde adore Siglufjördur! Et c'est vrai que c'est beau comme un village de carte postale avec ses montagnes abruptes et neigeuses et son fjord tranquille. Mais quand ils ont un peu de temps, certains aiment bien aller passer le week-end à Reykjavik, me semble-t-il.

Les quelques acteurs du show se préparent, le joueur d'accordéon et les "hering girls" (de braves dames du village) répètent leurs chansons. Il règne à ce moment une bonne atmosphère dans ce musée. Puis les 25 Américains/Allemands arrivent, tous vêtus de leur veste rouge, cadeau de l'organisateur de la croisière. Devant le musée, plusieurs grands bacs où se trouvent les harengs. Une cloche sonne et les hering girls descendent de l'étage du musée, où se trouvaient effectivement les chambres des filles. Elles enfilent un grand tablier jaune comme les cirés de marin et commencent, tout en discutant, à couper la tête des harengs et à les empiler dans les tonneaux de bois avec du sel entre chaque couche de poisson. C'est un peu comme la choucroute, sauf qu'il faut bien la tasser pour faire sortir le jus du chou, ce qui n'est pas nécessaire pour le poisson. Quand les tonneaux sont pleins, les hommes viennent les chercher pour les fermer et les préparer pour l'export. Les filles reçoivent une pièce qu'elles mettent dans leur botte. Un bonus? ou le salaire entier?

Puis elles chantent et le joueur d'accordéon les accompagne. Et puis elle dansent aussi; l'une d'elle vient inviter Jo. et c'est ainsi que Jo a dansé avec une hering girl!

Voilà tout ce que j'ai vu, appris et cogité à propos du hareng, tellement important qu'il figure sur les armes de la ville. Et comme souvent, mes pensées sont partagées entre le positif et le négatif. Mais c'est sûr que la Saga du Hareng est indissociable de l'histoire de Siglufördur.

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